Marty
May /
Elliott Murphy (Editions Joêlle Losfeld)
Préquelle :
New York, 1979.
À l’arrêt, lâché par les Majors et la quasi totalité de l’empathique microcosme musical, Elliott Murphy décide alors, suivant
les préceptes de son modèle de toujours
F. Scott Fitzgerald, de brutaliser sans retenue sa précieuse Smith
Corona. Une thérapie par l’écrit qui ne pouvait qu’éclairer une période
durant laquelle l’Elliott vivait à
fond (tout au fond ?) la fin du (son ?) fameux « Rêve
Américain »

Des écrits basés autour d’un énigmatique
guitariste de Blues, nommé Marty May : largué comme-lui en
une époque de changements subits et réorientation profonde du susdit secteur
musical. Une « nouvelle » finira d’ailleurs par sortir au cours des
mois suivants, au sein du prestigieux magazine US Rolling Stone, puis
une version incomplète de ces écrits, en 1989, sous le titre de Cold
& Electric (aux Éditions L’Entreligne). Il y a moins
d’une année, Elliott finira par
retrouver le manuscrit original, qui sortira dans sa version complète en
février dernier, grâce à l’aide (et la très belle traduction) de son ami et
auteur : Christophe Mercier.
Séquelles :
Avant toute chose, ne vous fiez SURTOUT pas au
résumé fiché en dernière de couverture et nanti de cette triste et réductrice
phrase : « Aurait-il dû continuer à
jouer du blues aux côtés de Blind Red
Rose, son premier mentor, resté pauvre et légendaire ? », ce
serait gâcher. Ce très beau Marty May
vaut plus, beaucoup plus, et ce, par bien des côtés. In fine, le contenu de ce
roman très abouti correspond exactement à ce que nombre d'éditeurs Français
considèrent comme LEUR cauchemar récurrent : un livre sur la musique écrit par
un lettré, truffé de références NON musicales, de personnages complexes et
situations nouées à l'avenant, et surtout, surtout, très bien ÉCRIT... Surtout.
Essentiellement. Ce que d'aucuns de ces employés du livre considèrent souvent,
comme – je le sais, je l'ai subi il y a peu encore, à l’instar de très
nombreuses autres plumes en demande de notoriété et publication – : « trop bien écrit : trop littéraire
pour un fan de musique, et trop musical pour un fan de littérature ! ». Un
avis en « boîte » apposé sans vergogne par une série de fronts serrés
de l’édition environnement, qui n'ont pas toujours cours outre-manche, ou...
Atlantique ! Pays d'origine de l'auteur de cette ballade aigre-douce (amère ?)
menée à bride abattue au sein du monde déshumanisé et froid de l'analyse, de la
musique (ou de l'a-musique ? Nantie du « a » privatif qui lui siérait
si bien).
Une suite de personnages cocasses ou
repoussants – des producteurs mégalos et artistes brisés de l’avancée – de
situations glauques – droit de cuissages mornes, avancées du temps mal assumées
ou overdoses minables – de rebondissements et revirements à ne surtout pas
dévoiler ici, mais revenant sur la main mise peu à peu opérée – en sous main,
tout d’abord, puis au « grand air » – par les diplômés des écoles de
commerce, hommes d'affaires aux dents acérées et étrons boursiers, sur le
microcosme (sur)codifié et désormais embrumé de la musique ; sans oublier
les nombreux changements vécus par icelui : le flicage, les
« barrages » incessants, les services d’ordre ras du bulbe, le cirque
des « stades » et leur cérémonial très « bling bling », trop
bien huilé et quasi aseptisé de l’improvisation, ou de l’attention…
Comme vécu précédemment, au sein de l'œuvre de
notre « musicien auteur » (ici, c'est juste l'inverse, et c'est
largement réussi, au diapason de ses dernières productions discographiques
abouties, nommées : Elliott Murphy / 2011, ou It
Takes A Worried Man / 2013) Scott
Fitzgerald croise négligemment Chuck
Berry, qui y fricote avec Andy
Warhol en Pop Art majeur, avant
que celui-ci ne dîne à la fraîche avec Shakespeare
ou ne traverse New York en vélo pour s’en aller tout droit mirer Marty May duettiser du riff aux cotés
de Jimi Hendrix ; ou bien
encore, croiser le fer de la grondante révolte sociale en (bonne) compagnie de Marlon Brando : tous deux posés sur une
nappe à carreaux légendaire, en bordure de quais, bien
évidemment (j’exagère à peine !).
Tandis que le gars Marty (May) s’escrime à
revivre les (trop courts) fastes d’un passé désormais recouvert d’une épaisse
couche de poussière, de colère froide et d’oubli, le monde avance, lui. Au bout
du compte, ça n’est jamais que la mort « officielle » du passé,
assassiné froidement par un présent de plus en plus exigeant : totalitaire de
la volonté, sans merci ni partage aucun, remise de peine envisagée, ni même…
souhaitée ! (Vorace de la mode à tout crin et de l'avancée technologique, comme
rarement par le passé, voire... jamais ?).
Tel un nourrisson de Neuilly balloté
sans ménagement en une suite de manif’ dominicales rétrogrades
et obsolètes de la pensée, Marty May
y croise les fantômes de son passé « Blues » séminal : sous
les traits du truculent Blind Red Rose,
qui emprunte autant à Muddy Waters, qu’à
John Lee Hooker, soit, mais qui
pourrait aisément revêtir les hardes humides de sexe et Bourbon, des adulés Howlin’ Wolf, Elmore James, Bo Diddley,
ou… BB King ! (Hommage déjà rendu au
genre en question en l’année 2005, sous la forme d’un bel album, nommé : Murphy
Gets Muddy).
Tout occupé à résoudre sa dangereuse
équation perso : « (in)succès chronique
+ intégrité X savoir faire au carré = compromission ou petite mort ! »,
il revient de facto sur la mort du
« Burlesque » et celle du fameux Ziegfield's
Follies – le must New Yorkais en la matière ! – s’en extirpe finalement
aux bras d’un sacré numéro (doté d’un grand écart de légende !) cite WC Fields et déterre les fantômes du
fameux « Lundi Noir » (LA crise de '29 !) ceci afin que d'introduire sans prévenir l’apparition DU
grand classique du roman US : la
strip-teaseuse « nature » au cœur grand format (et paire de seins de
même acabit) qui se donne sans chercher, recouds et panse, sans compter.

« Apparences,
Apparences, est-ce que j'ai une gueule d'Apparences ? », aurait très
certainement lancé de gouaille, notre Arletty
nationale (en parcourant ces quelques lignes consternantes, sorties tout droit
de la bouche à cigare d’un des pontes du milieu musical) : « Il faut toujours voyager en première classe,
car si l'avion s'écrasait, ça serait la honte de se trouver sur la liste des
passagers de la classe économique ». Une phrase édifiante, qui sent
très certainement le vécu, ainsi pointée d’aise sous la plume gainée d’acide,
du gars Elliott !). Une
manifeste incompréhension, née d’un affrontement entre deux visions très
distinctes, qui prend tout son sens, appuyée sur le cru et lapidaire :
« Si
des comptables et des avocats s'imaginent que je ne suis pas capable de
comprendre mieux qu'eux, les gamins qui achètent tous ces disques, alors, c'est
que je suis vraiment fini » (Marty).
Lorsque celui-ci évoque le système
« dangereux » et sans filet, des fameuses « avances », ça
ne peut que sentir également le vécu à « donf » : « Vivre sur l'argent à venir produit un effet
étrange : on le dépense plus vite. On dépense aujourd'hui l'argent de demain en
échange des promesses d'hier... ».
Outre cette image insensée d'une vielle légende
du Blues aveugle (au bout du rouleau) assis de longue devant la télé, on y
croise également Dylan Thomas, le
pathétique musicien « grimé sous paillettes pour ados » Paul Saint, ou l’assassin de Lincoln (John Wilkes) ; depuis les fenêtres du mythique Chelsea Hôtel, on peut y suivre le
chemin tout tracé de deux maousses lignes de coke, avant que d’y frimer
(standing, oblige) au sein des incontournables limousines de légende – débordantes
de démesure et abus de toutes sortes, parce que uniquement destinées à
entretenir le standing présupposé du secteur. Présents également, ici, les
groupies aux bouches voraces et musiciens en herbe déjà blasées, avant même que
de commencer ; sans oublier la fragile constitution des téléviseurs de
palaces Californiens supportant bien mal l’apesanteur terrestre et le taux
d’alcoolémie hors normes des stars en goguette. Les incontournables du fameux et
très surfait « cirque » Rock, encore et toujours en représentation,
en quête de gros titres, adulation et reconnaissance !
Tout en suivant pas à pas les remugles
nauséabonds émanant des groupes de « genre » (la New Wave et les piteux Nouveaux
Romantiques sont alors juchés sur le toit des classements et hits parades) « jetables »,
modelés du look ou « montés de toutes pièces », on y suit avec envie le
cours, parfois morne, parfois bouillonnant, d’une trajectoire humaine non
rectiligne, nommée Marty (May) visiblement branchée sur courant
alternatif, voire… extinction des feux ! Céans, en ce New York alors en pleine
mutation des lointaines 80’. Les fins
de cycles heureux se vautrent ici sans retenue dans l’amertume et
l’incompréhension, option misère à tous les étages, indexés sur des souvenirs
qui puent la pisse et les jeans usés (ou bien les souvenirs usés des jeans qui
puent la pisse ?) le tout claffi d'avocats véreux, de paroles
« élastiques » et contrats à « tiroirs » bâtis avant tout sur
concassage d'artiste bien mal informé des us et coutumes sauvages du
« milieu » en question : la vie duraille de genre masculin...
Musical ! En somme...
Des « requins » de haute mer présents
tout du long de cette douce balade avec vue sur l'amer habitée de trafiquants
d'âmes ou/et de souvenirs ; avec, en point d'orgue, un bal de la Promo 67' (celle dont serait plus ou
moins issu notre as de la six cordes, nommé Marty !) qui collerait instantanément à tout participant censé
l’envie de se lancer dans une Roulette Russe à CINQ balles le barillet, juste
pour être tout à fait certain de ne surtout pas en réchapper... Juste ! À
croire que nous passons une grande partie de notre courte vie terrestre à
tenter d'évoluer plus ou moins librement au travers de cet étroit et sans merci
(noir et froid) interstice mal fichu séparant le beau du pathétique : avec
ou sans succès, nanti ou dénué de classe, mais toujours sur la brèche,
néanmoins !
« J'ai
ri tout haut. Mais quand on rit, ça fait mal, non ? Sortir les vieux articles
en période de crise procure un fix rapide, mais lorsque l'euphorie initiale se
transforme si facilement en une nouvelle tentative désespérée de comprendre sa
propre déchéance, la retombée est longue et périlleuse... ».
Zigzaguant de longue entre les extraits de
textes mythiques (Just Like Tom Thumb’s Blues / Bob Dylan, ou Wild Horses / The Rolling Stones) l’auteur s’autorise à cligner de l’œil en
direction de ses plus fidèles lecteurs ; comme cette claire allusion (Page
177) destinée à l'un de ses précédents écrits : Poetic Justice (Hachette Littératures) ; un roman
de genre revenant sur la dureté du rêve US :
le bon vieux temps du Far West, des hors la loi, des faux prédicateurs et des
flingues (à se demander si « ça » a réellement changé en les rues
pavées de rêves et espoirs oubliés de l’Oncle
Sam, à vrai dire ?).
Profitant d’une analogie d'avec la façon de
composer DU Beach Boy(s), Brian Wilson (pieds nus fichés dans un
bac à sable au beau milieu de son salon !) Elliott
en profite également pour prêter à Marty
May l’intention d’en faire de même, mais, dressé sur une planche de surf,
lui ; une allusion non détournée à la mythique pochette de son fameux :
Murph
The Surf (1982).
« Dans
les années 60, Abbie Hoffman et Jerry Rubin jetaient des billets de
banque sur le sol de la bourse de New York pour voir ce qui allait se passer.
C'est exactement la raison pour laquelle nous nous sommes mariés : pour voir ce
qui allait se passer ». Un extrait saisissant de fiel qui ne peut que
conduire logiquement à l'étape suivante : celle du rôle de la femme de LA Rock Star ! Prise littéralement en
otage et coincée de longue entre les us et coutumes du genre et l’ego
surdimensionné de l’« autre ». Un rôle et un statut bien peu
reluisants. Une suite de voyages sans fin « offrant » à icelle une
vie pétrie d'ennui, des nuits qui n’en finissent jamais, des moments gâchés
d’addictions et de fréquentes attentes domestiques saupoudrées de questions
légitimes liées à la virulence de la forte « concurrence » nichée
sous le masque élastique de gamines de 17 ans en chaleur ou en proie à
d'intempestives poussées d'hormones noyées de phéromones de concours :
« Tu es fait pour ça. Tu es une Rock
Star. Tu es censé être arrogant, égocentrique, impossible à vivre. C'est bien
ce que veulent les jeunes, non ? » (dixit Barbara : ex femme de Marty
May apparemment ravie de son tout nouveau « statut » conjugal
distancié). Une séparation mal vécue, inscrite tout du long, en filigranes, de
cette quête du rachat et de la reconnaissance à tout crin composant ce
surprenant Marty May ; sans
pour autant verser jamais dans l’attendrissement à « donf », la
complaisance, ou l’apitoiement : « On
ne peut dissoudre la naissance, ni la mort, ni le diplôme du lycée, mais le
divorce est le dernier endroit où s'exerce une magie légale. Au moyen-âge, si
on était assez riche, on pouvait acheter une place au paradis. Avec le divorce,
on s'offre un chemin rapide hors de l'enfer ». Édifiant, et à la fois
typique d’un esprit New-Yorkais souvent personnifié par les saillies de
concours (écrites ou filmées) en provenance du truculent Allen… Woody !
Autres « morceaux choisis » à
déguster sans retenue :
« Eh bien, après tout, à nous, les héros tragiques, il nous faut notre
dose quotidienne d'exhibitionnisme émotionnel. Montre-moi un héros et je te
montrerais une tragédie ».
« Je
suis un Américain. A quoi tu t'attendais ? Si je ne produis rien, je me sens
coupable ».
« C’est
incroyable de voir que dans ce pays on dépense des fortunes pour faire venir
une momie d’Égypte, et qu’on traite comme de la merde les vrais trésors
Américains comme Blind Red Rose… ».
« J’avais
envisagé ce qui arrive à des mégastars comme Paul Saint, mais je n’avais jamais vraiment réfléchi à ce qui se
passe pour des gens comme Blind Red Rose.
Il avait traversé la vie comme un noir aveugle qui chante le Blues, et je
suppose que j’imaginais qu’à la fin de cet arc-en-ciel il y avait un chaudron
rempli de pièces d’or. Des types comme Paul
Saint finissent par faire une overdose dans une chambre d’hôtel, des types
comme Red Rose ont de la chance
s’ils ont une chambre… ».
Une existence « Rock » qui peut donc aisément
se résumer à l’aide du très dur, froid et lucide : « Pas d’espoirs, pas de déceptions… »,
mais qui se dévore néanmoins sans retenue et à vitesse grand « V »,
tellement il ne peut que happer et combler le lecteur féru des écrits de John Irving, de Nick Hornby, ou de l’incomparable et rarement égalé Philippe K. Dick… Rien moins !

«
Toute
perte au sein d’une espèce en voie de disparition nous rappelle notre propre
finitude… ». Une froide et pertinente constatation qui ne peut que
nous toucher/émouvoir, en une (sale) époque où les espèces animales ou
végétales, et autres dialectes locaux ancestraux ou tribus isolées, perdent du
crédit et des effectifs chaque jour que Bill Gates fait ; qui ne peut que
nous pousser à ne surtout pas passer à côté de cet étonnant et jouissif
Marty May : oscillant sans cesse,
entre, nostalgie amoureuse, froide désillusion, humanité en souffrance et futur
proche parfois si éloigné, hors de portée de tout, toutes, et… Tous !
J2C
« Photos By Lof » (à l'occasion
de la signature / Showcase organisée par Kollectiv' Mode au magasin Massilia
Records, Marseille, le 12 Avril 2013).